Le facteur.
C'est au coin d'une campagne, tout près de tout et tout loin de rien, vit une dame nonagénaire. Elle n'est pas très exigeante, pas de famille, si ce n'est une nièce bien lointaine. Elle est alerte encore, moins que d'autres, mais bien plus que de nombreux autres, mais ne peut envisager une marche jusqu'au village.
Elle vit de visites qui ponctuent ses journées, celles des aides ménagères souvent bien braves, de quelques voisins aussi, mais surtout chaque matin, il y a le courrier… sauf le dimanche, mais le dimanche, ce n'est pas grave il y a la messe à la télévision.
En fin de matinée, passe donc le facteur, le titulaire ou une remplaçante, rarement un pas aimable qui bâcle le courrier.
Une sorte de rituel, pour le facteur habituel, le café se fait dans une cafetière moderne, un peu fort le café, la dame a la cuillère quelquefois bien lourde. Il se boitdans la vieille tasse tachée du breuvage depuis tant d'années, un paquet de petits pains au lait. Pour d'autres, c'est le paquet de bonbons ou de gateaux qui traîne sur la table.
Ils ne viennent jamais les mains vides, ils sont passés à la boulangerie pour ramener une demi-baguette pas très bonne d'ailleurs et une pâtisserie bien plus accueillante, qu'elle paiera à la fin du mois. Et puis, le facteur revient aussi d'autres fois avec une ou deux tranches de viande fraiche de chez le boucher quand la vieille dame a des envies de viande, ou avec une autre course qui la dépannera.
Quand nul autre ne les dérange s'en suit alors des conversations sur les personnes du village, une vieille amie malade, une autre bien moins amie pas beaucoup mieux, et ainsi sans suit encore les nouvelles d'une génération qui s'appauvrit dans le nombre, le village est envahi d'étrangers à sa vie. Elle s'enquiert du résultat des élections ou d'autres informations, les lettres du journal sont écrites trop petites et le son de la télé est beaucoup trop bas, les privilèges de l'âge qui atténuent les sens, pour ne pas trop blesser la sensibilité d'une personne dévouée.
C'est la pause, aux deux tiers de la tournée, une pause bénéfique à cette dame âgée , un sourire sans sourire, un bienfait discret qui ne se le dit pas, une rencontre qui éclaire la solitude et qui donne la volonté de vivre encore longtemps en ces murs trop étroits, bien plus réconfortants que ceux bien trop blancs d'un mouroir baptisé maison de retraite.
L'autre sens du mot facteur prend alors tout son autre sens, il règle la musique de la vie de cette dame, une musique bien douce qui traînera toute la journée, jusqu'à un demain où il repassera…
Toc toc toc, c'est le facteur...