Durant mon enfance, je passais tous mes jeudis
après midi dans mon cinéma de quartier. C’était beaucoup plus passionnant que
de me farcir les devoirs imposés par un instituteur maniaque. La vie en
cinémascope me paraissait nettement plus intéressante , que celle passée à
résoudre des énigmes de robinets qui fuient, de trains qui arrivent à l’heure
dans une classe de gamins déjà programmés pour devenir, notaires, employés de
banque ou fonctionnaires à vie.
Mon paternel, employé SNCF, arrondissait ses fins de
mois en étant pigiste pour le quotidien régional du Grand Ouest. Cet emploi
précaire avait quelques avantages, dont celui de pouvoir, assister aux
représentations cinématographiques du cinoche local. Mon père n’étant pas un
grand cinéphile, c’est à moi qu’il refilait ses entrées gratuites avec mission
de lui raconter le film pour ses critiques hebdomadaires. C’est donc à
« l’Eden » cinéma que je m’embarquais pour les plus grandes aventures
et que je fréquentais les vrais héros en noir et blanc,, Lemmy Caution, Nick
Carter ou bien encore Philippe Marlowe.
L’adolescence me vit débarquer avec des allures de
faux dur, toujours fringué en noir, sous la protection d’un trench-coat blanc.
C’est à cet âge délicat que j’accédais enfin à la grande littérature.
Mes parents poussèrent un ouf de soulagement. Ils
entrevoyaient une possibilité d’évolution dans mon incurie profonde. Me voir
passer des heures, vautré dans un canapé et dévorant des mots qui se suivaient
les uns derrière les autres , les ravissait. En réalité, je m’arrangeais pour
qu’ils me voient lire, mais je leur cachais bien le contenu de mes lectures. En
fait, je me perdais dans la série noire, dans le monde crépusculaire des
détectives privés, des flics et des truands, des espions à la petite semaine. Que
d’heures passées avec Coplan, que de bagarres avec OSS 117, que de courses avec
Simon Templar, que de délires verbales avec San Antonio, et combien d’autres.
Devenu adulte, la vie me ramena à une certaine
réalité. Il n’empêche que mes héros demeurent toujours présent au coin de ma
mémoire. Je dois admettre que leur comportement n’a rien de politiquement
correct et que aujourd’hui, on leur ferait tous les procès de la bien-pensance.
C’est normal que les choses évoluent. Seulement
voilà, ces héros sont ma jeunesse, et même si le « politiquement
correct » est devenu obligatoire, je considère que la liberté de parole et
l’humour m’autorise à écrire ma propre aventure, dans le style des créateurs de
l’époque, afin de raconter mes quinze ans avec un regard amusé et tendre à la
fois.
En 2007, j’écrivais donc « Détective »
Il me fallait un héros digne de ses prédécesseurs.
C’est ainsi que naquit Joseph Marlaud. Évidemment, ce héros porte tous les
clichés nécessaires, costard cravate, trench-coat obligatoire et le feutre gris
posé négligemment sur le haut de la tête.
Ce qui devint plus difficile, fût de trouver pour
le personnage, une langue, un style, qui lui soit propre. Il devait manier à la
fois l’humour, la mauvaise foi, la métaphore douteuse et avoir en même temps
une force et un charisme indiscutable.
Je lui prêtais également tous les défauts
indispensables, alcool, tabac et petites pépées. Bien sûr, il est solitaire et
bien souvent fauché.
Une fois le personnage bien établi, il lui fallait
une enquête. Une histoire de diamants servit la cause.
Au théâtre, plus il y a de personnages dans une
pièce, plus le projet est difficile à réaliser. Dans ma pièce «
Détective », il y a une dizaine de personnages. Il fallait trouver une
solution. C’est alors que naquit l’idée de raconter cette histoire en mêlant
théâtre et cinéma. C’était une très bonne idée, elle reliait littérature et
cinémascope. Toute ma jeunesse.
Néanmoins, douze courts-métrages étaient
nécessaires. José Langlois se chargea de leur réalisation. Un sacré
travail ! Six mois de tournage. Premier plan, en décembre avec un froid de
canard. Des acteurs se réchauffant à la thermos pour ne pas geler sur place.
Des ballades dans Paris, caméra au poing. Des recherches de décors, des
déplacements à Anvers. Un travail de fou. Et enfin le dernier plan, sur les
planches de Deauville.
Et pour le réalisateur, douze films à monter, un
travail immense, ce n’était pas fini, il devait endosser son costume de
monteur.
Le 12 Mai 2008, je présentais mon « seul en
scène », mis en scène par Thierry Der’Ven, au théâtre de la Coupole. Seul
en scène, mais avec douze films en arrière plan….Je suis sur scène, je suis sur
écran, je joue avec des acteurs noir et blanc, je raconte mon histoire, en
parlant comme mes héros, ce n’est pas « politiquement correct », mais
je me marre, c’est de l’humour. Ce n’est pas de la perversité, c’est juste ma
jeunesse qui se ballade dans le vingt et unième siècle avec ses habits
d’enfance.